De la Liberté
La liberté est-elle absence de contrainte ? #1
Après avoir examiné la question du langage, j'aimerais continuer à questionner les grands thèmes de la philosophie, principalement ceux dont j’ai déjà pu parler ici dans mes notes et qui reviennent souvent dans les fils de discussions que je peux lire ici et là.
Aujourd’hui, je souhaiterais donc entamer une nouvelle série et vous parler d’un autre sujet qui me tient particulièrement à cœur : la liberté.
On aimerait tous jouir d’une liberté absolue.
Faire ce qu’il nous plait, quand il nous plait.
N’avoir à répondre de RIEN.
Exit les responsabilités, exit les comptes rendus, ciao les injonctions.
Nous voulons être libres, nous voulons être ivres de liberté. C’est bien normal après tout ? Comment pouvons-nous poursuivre le bonheur avec tous ces empêchements, toutes ces contraintes ?
D’ailleurs cette conception de la liberté n’est pas nouvelle, déjà les penseurs du 17ᵉ pensaient la liberté ainsi ; et c’est même sur cette conception de la liberté que se fondent tous nos systèmes politiques modernes. Thomas Hobbes, le philosophe anglais auteur du célèbre Léviathan définissait déjà en 1642, dans son ouvrage Le Citoyen, la liberté comme rien d’autre que :
« l’absence de tous les empêchements qui s’opposent à quelques mouvements ».
En somme, dès lors que rien ne me contraint, ni dans mon corps, ni dans l’esprit, je suis libre.
Mais alors, si l’on pense généralement qu’une contrainte, c’est une entrave, quelque chose qui nous empêche d'agir et de penser en dehors de certaines limites, ne peut-on pas aussi penser cette notion dans sa dimension prescriptive ?
Ce qui me contraint, c’est bien ce qui m’oblige à agir d’une certaine manière, que cela soit par nécessité ou par obligation morale.
Comment pourrions-nous concilier cette notion de liberté avec celle de la responsabilité ? En voilà une bonne question !
Si je pousse la réflexion de manière un peu plus radicale aussi, peut-on dire que, par exemple, je ne suis pas libre de prendre mon envol comme un oiseau, alors même que cela n’est pas en mon pouvoir de le faire ? La notion de liberté a-t-elle un sens face à cette impossibilité de fait ?
Je ne possède pas d'ailes, je ne peux pas (à mon grand désarroi) voler, mais cela n’empêche que je n’en reste pas moins libre de croire que je peux le faire ou même de prendre mon élan et m’essayer à agiter mes bras de toutes mes forces.
Spoiler : les lois de la physique me contraindront nécessairement à venir m’écraser sur le sol comme la grosse patate que je suis ! Do not try this at home !
Blague à part, cela enlève-t-il quoi que ce soit à la liberté de mon élan ou de ma croyance ?
Un dernier point, sans doute le plus décisif pour penser la liberté. N’est-elle pas inévitablement prise dans le jeu des contraintes ? Si nous n’étions assujettis à aucune impossibilité, si aucune entrave, qu’elle soit physique, morale ou intellectuelle, ne venait par endroit nous faire barrage, le concept de liberté aurait-il seulement un sens pour nous ?
Et, donc, cette liberté peut-elle se penser individuellement ou n’est-elle pas avant toute autre chose une idée qui naît dans le champ de la politique et qui s’évalue par degré, comparativement au degré de liberté ou d’asservissement auquel d’autres hommes sont assujettis ?
C’est un sujet qui impose de statuer sur la stricte définition négative d’une liberté qui ne pourrait s’exprimer que par l’élimination progressive des contraintes et entraves à nos actions, et c’est ce que je vous propose d’examiner cette semaine.
Mais ne doit-on pas aussi penser la liberté, au contraire, comme n’ayant d’existence que parce que celle-ci est limitée, jamais absolue, toujours prise à l’intérieur d’un espace, d’un cadre dans lequel elle peut s’exprimer positivement ?
Enfin, si la liberté n’est pensable que dans un cadre politique, social ou culturel, est-il seulement possible de la penser universellement ou n’est-elle pas une notion qui n’a de valeur qu’en notre conscience individuelle ?
Voilà, vous avez le programme complet de ce nouveau cycle en trois parties !
La liberté comme absence de contraintes
Essayons donc, pour démarrer, de pousser radicalement la logique voulant que la liberté n’est que l’absence de contrainte et voyons où ce raisonnement peut nous mener.
Si la liberté est strictement absence de contrainte, alors je suis parfaitement libre de faire ce que je veux et ultimement ma liberté s’identifie à ma volonté, du moment que celle-ci ne vient rencontrer aucune résistance extérieure et que je ne suis pas moi-même soumis à la volonté d’autrui.
Et oui, on n’est jamais libre seul.
Quand on est seul, on n’est pas libre, on est juste seul,
là tout seul comme un con.
De fait, la liberté, pour s’exprimer, comme cause déterminante de mon action, nécessite déjà que je sois libre et que l’organisation sociale à laquelle j’appartiens m’autorise cette liberté de mouvement. C’est une des leçons que nous retenons d’Hannah Arendt, qui, dans le chapitre “Qu’est-ce que la liberté”, issu de son essai La Crise de la Culture paru en 1954, pose en prémisse de la liberté la libération de l’homme “des nécessités de la vie”.
C’est-à-dire que dans notre organisation sociale, nous devons être suffisamment évolués et structurés pour que nos besoins vitaux puissent être comblés.
Historiquement en effet, la liberté ne put donc se manifester que dans le champ de la politique, et exige toujours pour se manifester :
“la compagnie d’autres hommes, dont la situation était la même et demandait un espace public commun où les rencontrer”.
Ce que l’on comprend avec Arendt, c’est bien que la liberté serait déjà circonscrite à une forme d’organisation sociale et à des rapports humains spécifiques et ne caractérise absolument pas toutes les organisations politiques et sociales historiquement connues.
Historiquement donc, la liberté comme “fait démontrable” dépend de la garantie politique de cet espace public, dans lequel elle peut se manifester.
Mais le risque d’une définition strictement négative de la liberté, correspondant donc à l’absence de contraintes, n’est pas encore levé. Il demeure du moment où l’on considère que cet état de liberté politique et sociale dans lequel nous vivons est pris pour argent comptant, qu’il semble aller de soi.
Une attitude tyrannique
À partir de ce moment, une telle liberté individuelle, qui cèderait devant tous ses désirs, deviendrait, en toute logique et très rapidement, une liberté qui ne pourrait s’exercer qu’aux dépens d’autrui et ne pourrait se maintenir que par la force et la tyrannie.
Si, en effet, j’en viens à considérer que je suis en droit de faire ce que je veux, je vais forcément vouloir ce que je désire et succomber à toutes mes pulsions :
Je prendrai bientôt le pain sur la table de mon voisin,
j’occuperai sa maison, plus grande que la mienne,
je voudrais posséder sa femme, plus belle que la mienne, car il y aura toujours, et c’est le propre du désir, un objet plus désirable que celui que je possède déjà.
La liberté considérée comme allant de soi ouvre ainsi la porte à tous les appétits démesurés de l’homme, qui ne peuvent se maintenir que par la force et la soumission des autres à sa propre volonté.
Mais le tyran est-il aussi libre qu’il le pense ?
On peut objecter à cette hypothèse deux arguments :
Le premier serait de le considérer comme lui-même sous l’emprise de ses désirs. Le tyran qui cèderait à toutes ses pulsions et ne vivrait que dans l’impulsivité de ses appétits démesurés, ne s’empêcherait pas lui-même de quoi que ce soit, se réduisant ainsi à sa dimension purement animale et instinctive.
Mû par l’agressivité, il ne pourrait plus être considéré comme un homme raisonnable agissant librement, mais uniquement comme un animal soumis à la détermination de ses instincts et d’une nécessité bestiale. Le voilà retournant à cet état antérieur, rendant impossible l’élaboration rationnelle du concept de liberté, pour devenir l’esclave de sa part animale.En plus, en agissant de la sorte, le tyran vivrait perpétuellement dans la crainte puisqu’il ne serait entouré que de gens qui lui seraient hostiles, et serait alors obligé “de soutenir la lutte avec eux toute sa vie durant”. C’est effectivement la conclusion à laquelle Socrate arrive dans La République ( IX 579d), faisant du tyran l’homme “le plus misérable”, “le véritable esclave” qui ne peut absolument pas mener la vie d’un particulier, mais se voit contraint à une existence enchaînée à son pouvoir et serait le seul à ne pouvoir se mouvoir librement, à ne pas pouvoir vivre de vie privée, car son pouvoir lui impose de s’exercer tout entier à son maintien.
Voilà où la logique pousse ce concept de liberté, entendue comme strictement absence de contrainte. Elle est non seulement nulle et non avenue d’un point de vue collectif, en vertu de la libération préalable nécessaire à sa manifestation et du cadre politique permettant son expression, mais elle est surtout inadmissible moralement.
L’exercice d’une volonté absolue d’un individu mènerait à un état de tyrannie où même le tyran, confondant désir et volonté, pouvoir et liberté, serait lui-même absolument avili et asservi par ses appétits et son pouvoir.
La semaine prochaine, nous verrons alors si une liberté s’exprimant à l’intérieur d’un cadre préétabli, en tant qu’espace à préserver et non comme une barrière à abattre, se suffit à elle-même.


Merci j'ai accès a une très grande liberté selon mon expérience elle s'acquiert surtout en disant la vérité surtout a soit même et en écoutant ton instinct ! Tu parle de voler jai pris mon envol en avion pourquoi pas ! Jai fais le tour du globe en 40 jours !
Beau point de départ, merci. En attendant la suite, je vais user un peu de ma liberté et partager ton texte.